un article Aleteia de Patrick Sbalchiero
Signe spirituel, le miracle manifeste dans l’Église ce à quoi l’homme est appelé dans la foi : il réalise ce qu’il montre et propose à l’homme ce qu’il réalise. Il anticipe le Royaume à venir.
Il existe deux manières d’envisager les miracles : soit en croyant, soit en historien.
Toutefois, fidèles et chercheurs s’interrogent de concert : l’importance des miracles dans l’Évangile détermine-t-elle un statut particulier pour eux dans l’enseignement de l’Église ? Quelle place occupent-ils dans la foi catholique ? Le miracle, prodige inexplicable ou notion théologique ?
Miracles ou prodiges ?
À l’évidence, la culture actuelle peine à définir le miracle. Une nébuleuse de termes sert à l’évoquer sans qu’aucun n’y parvienne : divin, merveilleux, mystique, paranormal, prodigieux, supranormal, surnaturel, surréel… Ce flou sémantique traduit l’attitude manichéenne que d’aucuns adoptent face aux faits miraculeux : soit rien n’existe, tout est nié en bloc (rationalisme et matérialisme), soit tout existe, et tout fait inexpliqué serait miracle, sans contrôle de la science et sans discernement de l’Église. L’écueil principal tient au fait que l’on confonde miracles et prodiges.
Prenons l’exemple des stigmates : il s’agit de plaies épidermiques observables et évolutives ; pour autant sont-ils des miracles ? Oui, car leur évolution clinique contredit les lois de la nature (cicatrisation extrêmement rapide, absence de suppuration et d’infection, etc.) et surtout leur signification est spirituelle en ceci qu’ils rappellent les souffrances du Christ et qu’ils font participer la personne stigmatisée à sa Passion sur un mode extraordinaire. De même, lorsque Bernadette Soubirous voit la Vierge Marie à Lourdes en 1858, c’est un phénomène visuel, la perception d’un être invisible sur un mode incompréhensible pour la science ; mais le « sens » de ces mariophanies est révélé à travers les messages recueillis par la voyante, en particulier : « Je suis l’Immaculée Conception. »
Un signe spirituel
Ainsi, chaque miracle est un phénomène matériel (une guérison, dûment vérifiable par les médecins) porteur d’une signification religieuse (cette même guérison exprime l’amour de Dieu pour les hommes). Un simple prodige est toujours fruit d’un système clos, immanent, dont l’origine est le plus souvent l’esprit humain, et le monde « visible » dont parle le Credo. Au contraire, le miracle tire son origine du monde « invisible », de ce qui est au-delà de l’espace et du temps, du Dieu de la Révélation biblique. Un miracle chrétien réalise les promesses de Dieu faites à son Peuple depuis Abraham. « Les signes accomplis par Jésus témoignent que le Père l’a envoyé », dit le Catéchisme de l’Église catholique. Le miracle ne se résume pas à une anomalie dans le fonctionnement des lois naturelles ; c’est un signe spirituel manifesté par un prodige physique enté sur l’Incarnation du Christ. Le miracle manifeste ce à quoi l’homme est appelé à être dans la foi : il réalise ce qu’il montre et propose à l’homme ce qu’il réalise. Il anticipe le Royaume à venir. « Dieu s’est fait homme pour que l’homme s’élève à Dieu », écrit saint Irénée de Lyon (IIe siècle). Ce faisant, ces miracles-signes ne sont jamais objets de foi. Un fidèle catholique n’est nullement astreint à croire aux apparitions de la Vierge ou aux stigmates de saint François d’Assise…
Une expérience ecclésiale
Dans la Bible, et jusqu’au Ve siècle de notre ère, les miracles sont parfois identifiés à des phénomènes naturels impressionnants (tempêtes, orages, etc.). Mais à partir de saint Augustin puis du pape saint Grégoire le Grand, il devient un fait spirituel vécu en Église. Ainsi aide-t-il à consolider la foi, à la conversion des païens, en montrant l’origine surnaturelle de l’Église. Le miracle grégorien est une expérience ecclésiale.
Au XIIe et au XIIIe siècle, de grands intellectuels, de saint Anselme à saint Thomas d’Aquin, réfléchissent sur ce sujet. Saint Thomas montre l’origine divine des miracles en expliquant que Dieu, origine de tout, cause première, contourne les « causes secondes » (lois naturelles qu’Il a lui-même créées) pour faire les miracles. À cette époque, l’Église a pris le contrôle pastoral sur les miracles à travers la « gestion » du culte des saints et de celui des reliques, ces deux dévotions organisant les pèlerinages médiévaux européens (Rome, Conques, le Mont Saint-Michel, Saint-Jacques de Compostelle, Le Puy-en-Velay, Paris…).
L’analyse des miracles retenus lors des procès de canonisation est de plus en plus stricte. L’Église demande aux clercs une vigilance accrue quant aux prodiges non encore authentifiés par les évêques, successeurs des apôtres. Le pape devient en quelques décennies le garant de l’authenticité des miracles dans le cadre du culte des saints : c’est la « réserve » pontificale. Lorsque s’ouvre le procès de canonisation de Thomas d’Aquin en 1319, un événement va en retarder l’issue : Rome décide d’interrompre la procédure en cours car les informations collectées sont jugées insuffisantes ; la démarche aboutira en 1323 après que le Saint-Siège ait authentifié le miracle de Thomas à Fossanova…
La prudence de l’Église
La prudence légendaire du clergé à l’égard des prodiges vient du fait que l’Église accueille et transmet l’héritage de la Bible ; or, dans la Bible, magie, occultisme et irrationnel constituent des formes d’idolâtrie (Dt 18 et Lv 19). L’histoire du rapport de l’Église aux miracles est aussi fondée sur la prudence de Jésus face aux « merveilleux » de son époque : ne demande-t-il pas de prendre garde aux faux messies (Lc 21) ? Heureux les croyants et non les mordus du sensationnel !
L’Église doit encore veiller à la disparité des sources historiques : outre le socle biblique (miracles de l’Ancien Testament, de Jésus puis des apôtres), les récits de miracles ont des statuts très différents : chroniques et exempla du Moyen-Âge, vies des saints, témoignages oraux, procès-verbaux ecclésiastiques, historiens modernes, compte-rendus et rapports de scientifiques contemporains, etc. La pérennité du contrôle ecclésial sur les miracles n’est pas une volonté autoritaire qui consisterait à tout régenter. Ce contrôle met d’ailleurs plusieurs siècles à se mettre en place, révélant que dans les années 1400, le monde chrétien était loin d’être uniforme quant au culte des saints.
Croire librement
Depuis lors, la science participe à l’authentification des miracles. Le miracle chrétien n’est pas irrationnel ; sa rationalité tient en son évidence phénoménale et en sa cohérence avec la foi de l’Église. Réalité matérielle et signifiant spirituel, le miracle reste source d’interrogations, à l’image de l’apôtre Thomas voulant mettre sa main dans les plaies de Jésus… La réponse du Christ reste valable pour chaque croyant. Les miracles ne contraignent pas à adorer un prodige mais invitent à croire librement.