"Vous êtes faits l'un pour l'autre", "voici réunies deux âmes jumelles"...
Nous avons tous entendu ce genre d'affirmation notamment lors de discours de mariage.
Si je crois sans l’ombre d’un doute que l’homme et la femme sont faits l’un pour l’autre, mais je ne crois pas qu’il existe l’âme sœur que le Créateur aurait depuis toujours préparée et prévue pour l’autre. Car si c’était vrai, serions-nous vraiment libres ? Et si on se trompait dans le choix de la personne, aurait-on le droit de la changer pour une vraie âme sœur ?
Dieu aime et respecte trop notre liberté. Il aime se mettre en route avec ses enfants, les accompagner, écrire droit avec des lignes courbes. Dieu aime faire quelque chose de beau à partir de trois fois rien… Il me semble alors que le « l’âme sœur » n’existe pas.
Non, l’âme sœur n’existe pas, Dieu merci !
Moi-même religieux, je partage ma vie — souvent pendant de longues années — avec des personnes que je n’aurai pas choisies en premier lieu. Pourtant, je garde encore ma liberté de choisir, d’apprendre à aimer, même quand je suis mis devant le fait accompli. Il me semble alors qu’on pourrait se marier avec pas mal de personnes. Ce n’est qu’après un bon et profond discernement, que celui qui aspire au mariage trouvera finalement la personne à épouser. Par conséquent, une fois marié, on est alors libéré d’un doute dangereux.
« Dieu nous confie l’autre pour qu’il atteigne la plénitude ».
Au cours des mariages que je célèbre je dis souvent cette phrase aux mariés : « Heureusement vous n’allez plus jamais devoir vous poser la question si votre choix était le bon ou pas ! Votre choix est posé maintenant. Désormais, vous pouvez vous consacrer à la question suivante : comment peindre le meilleur tableau possible avec les couleurs que vous avez reçues ? ». En réalisant ensemble ce tableau commun, les couples doivent cependant veiller à ne jamais se comparer aux autres. Le seul modèle auxquels ils doivent aspirer, c’est à ce couple qu’ils sont appelés à devenir ensemble dans le cœur de Dieu.
Ce n’est qu’au moment où on se marie devant Dieu, que l’autre devient notre « âme sœur », grâce à qui on va atteindre notre plénitude. C’est possible parce que Dieu s’engage auprès d’un couple imparfait. Il le fait malgré les faiblesses de l’un et de l’autre. Il s’engage à ne jamais nous quitter. Au moment même du sacrement de mariage, Dieu nous confie l’autre pour qu’avec notre aide, il atteigne sa plénitude. À partir de ce moment-là le mariage n’est plus le lieu où on cherche le bonheur, ce qui est une erreur tellement souvent répandue ! Le mariage est le lieu idéal pour apprendre à aimer. Pour l’époux comme pour l’épouse, il permet d’apprendre à sortir de sa zone de confort et à se donner à l’autre.
« Le but du mariage est d’apprendre l’art d’aimer. »
Le but du mariage n’est pas que la vie soit plus agréable, plus facile ou avec moins de problèmes… Le but est d’apprendre l’art d’aimer, comment le disait le penseur allemand Erich Fromm. On n’a pas besoin de l’autre pour ne pas être seul, mais pour apprendre à se donner à l’autre : à celui qui est vraiment différent de nous, pour apprendre à accueillir l’autre qui aime et qui se donne différemment.
Aimer est choisir et re-choisir
Aimer est choisir. Saint Thomas d’Aquin disait que l’amour ne se limite ni au sentiment ni à l’émotion. Il se trouve juste entre la raison et la volonté. Reconnaissons-le, c’est une vision qui n’est pas très romantique… Cependant, nous avons besoin de la raison pour comprendre qui est l’autre, de quoi cet autre a besoin pour se sentir aimé. C’est après que nous pouvons employer notre volonté pour choisir d’agir ainsi, mettre en œuvre ce que nous avons compris. Aimer est choisir, et re-choisir. Il ne s’agit pas de rechercher la personne que nous avons choisie il y a des années, mais cette personne que nous avons devant nous aujourd’hui. Même — et surtout — si cet autre a bien changé…
Je me souviens de ce qu’un vieux prêtre irlandais me disait un jour : « Avant le mariage, il faut ouvrir grand les yeux. Après, il faut plutôt les fermer un peu ». Même si nous croyons bien connaître l’autre le jour du mariage, c’est impossible de le connaître parfaitement. Évidemment, nous ne savons pas comment il se comportera dans de nombreuses circonstances que nous n’avons pas encore expérimentées ensemble. C’est comme l’eau : on ne la connaît vraiment qu’une fois plongé sous différentes températures, selon des pressions et des circonstances diverses.
« Le couple peut devenir un saint couple car Dieu s’y engage. »
Ainsi, je ne crois donc pas que « l’âme sœur » existe avant le mariage. Je crois en revanche qu’un couple peut devenir un saint couple, même lorsque l’autre ne semble pas du tout être un saint conjoint. J’y crois précisément parce que Dieu s’engage dans le couple. Il n’est pas un spectateur qui bénit les jeunes mariés un peu de là-haut… Il s’y intéresse vraiment. Créateur, il est toujours prêt à faire pour chaque couple ce qu’il a fait pour le peuple d’Israël pendant l’exode. Dans les années 80, j’ai rencontré une femme abandonnée par son mari.
Après dix ans de mariage, il était parti avec une autre. Cette femme a pourtant respecté le mauvais choix de son mari, par amour pour lui. Elle savait qu’il était un homme faible, qu’il manquait de maturité. Cela ne l’a pas pourtant empêché de lui rester fidèle, car elle a fait une promesse devant Dieu. « Si je le quitte aussi, m’a-t-elle dit, si je lui ferme la porte, il est perdu ». Finalement, son mari est revenu au bout de quinze années. Il n’est peut-être pas le chevalier blanc, mais il est devenu un bon mari, un bon père pour ses enfants, un homme humble et reconnaissant… Cette année, ils célèbrent leurs 50 ans de mariage !
« C’est Dieu la source du bonheur, non pas le conjoint. »
Dieu soit loué ! C’est Dieu la source du bonheur, non pas le conjoint. Le conjoint peut être le lieu, le signe, l’instrument habituel. Dans le cas de cette femme, c’est Dieu qui, pendant ces 15 ans, lui a donné tout ce que son mari n’a pas su lui donner. Aujourd’hui je peux dire que cette femme est une des personnes les plus belles, les plus humbles et rayonnantes que je connaisse. Et je dois dire que c’est en grande partie « grâce » à son mariage si compliqué qu’elle s’est ainsi transformée. Son mari n’était donc peut-être pas son « âme sœur ».
Mais cette femme s’est engagée pour toujours envers cet homme que Dieu lui avait confié. Elle a appris à faire confiance en ce Dieu qui s’était aussi engagé le jour de leur mariage. Elle a ainsi choisi d’aimer son mari pour qu’il devienne l’homme que Dieu voulait. Elle s’est transformée pour devenir l’épouse que Dieu voulait qu’elle soit pour son époux. Afin d’apprendre à aimer aussi dans les épreuves et devenir une de ces saintes que Dieu seul connaît.
Père Paul Habsburg